Intervention de Hubert Habib, de l’Association MORIAL
Contraction de MORechet Iéhoudi Algéria
« Mémoires et Traditions des Communautés Juives d’Algérie »
A pour objectif essentiel de retrouver, collationner, protéger et transmettre la et les mémoires des Juifs et Hébraïsants qui ont vécu dans cette contrée appelée Algérie, depuis des siècles jusqu’à leur collectif et inexorable départ en 1962.
Morial se nourrit de témoignages et communique par un Site <morial.fr> que nous vous invitons à découvrir et à enrichir de vos souvenirs.
Morial organise des manifestations diverses comme des colloques, conférences, expositions, etc…
Nous ne sommes qu’une très modeste partie de ce Peuple Hébreu exilé de Judée à la suite des deux destructions de son Temple mais notre Histoire est dense de traditions accumulées.
Nous avions quelque part perdu un peu le cap mais nous avons réussi à garder la boussole.
Notre richesse mémorielle fait qu’en Algérie justement ont convergé des destins différents, formant une mosaïque de cultures et de traditions.
D’abord la rencontre fusionnelle avec les Berbères, de Numidie au Sahara et jusqu’aux contreforts de l’Atlas marocain.
Ces ancêtres, primo-arrivants, ont naturellement transporté avec eux le souvenir diffus de l’architecture du Temple de Salomon, de l’Éthique judaïque, bourdonnement de la théophanie sinaïtique et de la Emouna (la Foi), de la Philosophie hellène et du Rationalisme, symbole de l’esthétisme grec.
Ensuite, ceux qui ont accompagné les Arabes lors de leurs invasions cavalières de l’Ifriquya au début de l’Hégire.
Ceux-là étaient en général lettrés, médecins, traducteurs, juges, philosophes, marchands.
Enfin, les malheureuses victimes de l’expulsion d’Espagne, rescapées d’une Inquisition meurtrière et féroce. Ils ont transporté dans leurs « bagages spirituels » les lueurs de cet Occident qui allait produire l’émergence de la Renaissance avec son cortège d’espérance, initialisé à Cordoue, phare, dit-on, d’un vivre ensemble dans la tolérance, le respect et l’harmonie.
Sans oublier ces Juifs venus de la Métropole, Alsaciens (après la Commune et la défaite de 1870) et Provençaux (juifs du Comtat Venaissin)
Toutes ces convergences de mémoires ont forgé l’originalité de ces Juifs-Hébreux d’Algérie avec cette confluence de traditions qui ont généré d’immenses Penseurs comme le Rav Enkaoua de Tlemcen, les Rabbins Busnach et Duran d’Alger, Léon Askénazi dit Manitou, Raphaël Draï et tant d’autres.
C’est l’un d’entre eux, André Chouraqui, à qui nous rendons hommage ce soir.
MORIAL, plus que jamais devient une caisse de résonnance indispensable à la compréhension de notre Histoire, une nécessité éclairante pour les jeunes générations.
GARDONS LA MÉMOIRE
Trois merci tout d’abord
A vous tous qui vous êtes déplacés un soir d’été pour partager avec nous l’hommage que nous rendons à ce Penseur du possible.
Au Festival des cultures juives d’avoir choisi ce thème fédérateur ENSEMBLE qui sied si bien à André Chouraqui.
Un merci à tous les collaborateurs de Morial qui m’ont aidé à construire, à préparer et à réaliser cette manifestation. Particulièrement à Emmanuel Chouraqui, son fils aîné qui vous présentera son père avec plus d’amour et de talent que moi, par l’image avec son film « L’Ecriture des écritures » et son dernier ouvrage « La création de l’Etat d’Israël » thèse de Doctorat en droit de 1948 -Vous pourrez acquérir ce film et cet ouvrage.
Exercice difficile que de présenter André CHOURAQUI en quelques minutes et de lui rendre hommage en quelques dizaines de minutes.
L’immense pluralité de son talent et de ses actions nécessiterait plusieurs jours pour faire le tour de sa personnalité et traduire le message, les messages qu’il nous laisse comme des points lumineux sur la surface de notre planète.
André CHOURAQUI a puisé son génie des langues et son rêve insensé de PAIX entre les trois religions monothéistes, Dans l’Algérie de ses pères, cette Algérie si diverse, à la fois, berbère, juive, byzantine, andalouse, arabe, ottomane et française.
Né à Aïn-Témouchent, petite bourgade près de la ville historique de Tlemcen où vivait, au Moyen-Âge le célèbre Rav Ephraïm ENKAOUA, il est issu d’une famille dont les ancêtres venaient de l’étincelante Andalousie médiévale. Il parle arabe avec ses amis musulmans, français en famille, hébreu à la Synagogue. Son rabbin lui apprend la Torah par cœur et en hébreu. Ses camarades de jeu sont musulmans et, quand il lève la tête, il entend les cloches de l’église du village. « Trois langues, trois textes sacrés, trois religions, trois cultures trottaient en permanence dans ma tête » aimait-il à dire à propos de son enfance. La Bible fait partie de son patrimoine génétique. Elle est pour lui charnelle.
Juriste, Ecrivain, linguiste, poète, essayiste, exégète et historien, André Chouraqui est un véritable jongleur de mots quand il se met à traduire les Textes Sacrés. Il aura rencontré trois Papes, Pie XII, Paul VI & Jean-Paul II. André Chouraqui laissera le souvenir d’un chantre de l’Alliance des Cultures et des Religions, présent sur toutes les routes du Monde. Il était normal et évident que Morial lui rende hommage et honore cet héritier des Sages de Tlemcen, l’étudiant à la Sorbonne, le résistant en Haute-Loire, l’édile municipal à Jérusalem et enfin le Citoyen du Monde,
André Chouraqui, le Pèlerin de la Paix et éclaireur et éclairant il nous nourrit de spiritualité, il nous nourrit de sens, il nous nourrit de bonté, il nous nourrit de connaissances, quand l’histoire n’éclaire pas l’Esprit, L’homme marche dans les ténèbres.
Quel parcours !!!
Rescapé quasi miraculeux d’une polio dès sa prime jeunesse. Brillantes études à Oran en Algérie et à Paris.
Mêlé à la Résistance dès le début de la guerre, réseau des Cévennes, de la Haute-Loire et au Chambon-sur-Lignon en terre protestante. Il est membre des réseaux clandestins de sauvetage de l’O S E.
Retour en Algérie où il exerce la fonction de juge de paix. 1948 ! la création de l’Etat d’Israël l’interpelle. Il se glisse dans le sillon de Théodore Herzl et consacre sa thèse de doctorat en droit à la justification juridique de cet Etat encore embryonnaire. Vision messianique !
Il est appelé comme conseiller auprès de Ben Gourion en 1959 en pleine tension après les émeutes de Wadi Salib provoqués par des immigrants venus des pays arabes. Sa première responsabilité en Israël sera de trouver les moyens de faciliter l’intégration de ces communautés qu’il connaissait si bien.
Il œuvre auprès de René Cassin comme un des responsables de l’Alliance Israélite Universelle scolarisant ainsi des milliers d’enfants juifs au Maroc et en Tunisie. De 1965 à 1973, il sera l’adjoint du très médiatique Maire de Jérusalem Teddy Kollek. A partir de 1964, avec Annette son épouse et ses cinq enfants tous nés en Israël, il fixe son domicile sur la ligne de cessez-le-feu à la frontière d’où partent souvent des tirs jordaniens.
Il est surtout connu de par le monde pour ses Traductions des textes des trois sources monothéistes la Bible, ancien et nouveau testament, les Evangiles et le Coran.
Il décède en 2007 à l’âge de 90 ans.
Voilà ce que dit de lui une autorité orthodoxe connue, Jean-Yves LELOUP, dans son Dictionnaire amoureux de Jérusalem :
- « Parmi tous les amoureux de Jérusalem que j’ai rencontrés, André CHOURAQUI fut sans doute le plus véhément. Il incarnait l’utopie en marche.
- Bien que lucide, parfois même désespéré devant la « réalité qui résiste » aux songes les plus beaux, il croyait à l’Unité possible et apaisée des pierres, des hommes, des femmes, des chats, des enfants et des fantômes…rassemblés à Jérusalem. Témoin des miracles du passé et des miracles du présent, il ne pouvait douter des miracles de l’avenir, comme il le dit dans son prologue à « Jérusalem, ville sanctuaire »
- « L’utopie n’a-t-elle pas été la plus constante loi de la survie des mondes et de l’humanité ? Notre génération n ‘est-elle pas celle qui a vu l’utopie triompher de tous les périls mortifères qui la menaçaient ? »
- Malgré les critiques qu’elles ont suscitées, on continue à lire les Traductions très personnelles d’André Chouraqui, de la Bible, des Evangiles et du Coran—œuvre colossale que de traduire dans un seul souffle tant de souffles convergents mais parfois hostiles. Nous en parlions souvent, que ce soit à la Sainte-Baume, à Paris, à Brasilia ou dans le désert marocain, où l’amitié nous rassemblait. »
ENSEMBLE !
Qui, par son parcours, son œuvre et ses actions ne pouvait mieux illustrer ce thème choisi cette année par le Festival des cultures juives ?
ENSEMBLE !
Cela pourrait être le sous-titre de tous ses ouvrages. Il pensait seul mais il savait qu’il fallait agir avec les autres, toujours ensemble. Penseur du Possible et Visionnaire de l’Impossible, André Nathan CHOURAQUI était à la fois singulier et pluriel. Singulier par la force et l’originalité de sa pensée Pluriel par la diversité de ses appels à l’autre, Homme d’analyses, il a voulu se pénétrer de toutes les spiritualités, Homme de synthèse, il a voulu être l’acteur de tant de rapprochements.
Avec ses traductions, il a voulu communiquer le souffle du Créateur dans toutes ses composantes, dans tous ces chemins qui mènent à la Transcendance, quel que soit le Rite. Avec ses échanges, avec des poètes, des écrivains, des historiens, des initiés, des philosophes, des hommes d’Etat, des théologiens, des penseurs, de simples hommes de la rue, il s’est nourri de la diversité intellectuelle.
Il communique avec Jules ISAAC, Marc CHAGALL, Jacques ELLUL, Il correspond avec Jacques MARITAIN et Paul CLAUDEL, Il rencontre des Papes, Paul VI et Jean-Paul II, Il collabore avec René CASSIN, rédacteur de la Déclaration des Droits de l’Homme en 1948, qui lui confie le développement de l’Alliance Israélite Universelle. Il fonde la Fraternité d’Abraham en 1967, en pleine guerre des 6 jours, à la Mosquée de Paris avec Si Hamza BOUBAKEUR, le Père RIQUET, et Jacques NANTET.
ENSEMBLE !
Toujours ensemble ! Toujours ce souci de convictions à partager, d’unité à défendre, de chaleur de rapprochement à vivre dans l’harmonie…MORIAL lui a consacré en 2017, à l’occasion de son centenaire, un colloque international au Collège des Bernardins à Paris avec comme thème :« Du déracinement d’Aïn-Témouchent en Algérie à la Source à Jérusalem en Israël ».
Son chemin est balisé de Rencontres, de Séductions, de Partages, de Joies, d’Amour, de résistance, d’émerveillement, d’héroïsme et de Piété. . L’Homme de Foi n’était jamais saturé d’érudition, de ces Ecritures qu’il voulait tant vulgariser pour les diffuser au plus grand nombre.
Des yeux pénétrants, vifs, le regard du Juste apaisé par cette quiétude, sagesse innée et sagesse acquise
(son lointain ancêtre Saadia Chouraqui, un illustre savant). André est un prophète, dit de lui un homme qui l’a bien connu, Yehuda LANCRY, ex-ambassadeur d’Israël en France. Il annonce l’ALLIANCE parce que pour lui elle est essentielle, indispensable et salvatrice.
C’est ENSEMBLE que nous allons voir et entendre par le film de son fils et par les témoignages de ses amis les vibrations de son Message, ENSEMBLE devant l’immensité de sa pensée. Le Feu de l’Alliance (Mon Testament) Voilà un grand monsieur que je n’ai hélas jamais rencontré mais qui a inondé mon âme. L’association MORIAL, vigilante gardienne de la Mémoire du Judaïsme algérien, est fière de compter parmi les siens des immenses phares comme André Chouraqui, les Rabbins Askénazi (Manitou) Naouri et Sirat, Henri Atlan, Charley Attali, André Narboni, Raphaël DraÏ, Schmouel Trigano, Denis Charbit et beaucoup d’autres…..Pour tous ceux qui ont grandi en Algérie, qui ont connu le judaïsme qui s’y vivait, André Chouraqui évoquera des souvenirs encore présents.
Aux plus jeunes, il enseignera le Patrimoine dont ils sont les héritiers. et à ceux qui n’ont pas d’attaches familiales avec l’Algérie et ses communautés juives, il apprendra la richesse d’un judaïsme dont les traditions restent encore vivantes malgré l’exode, le déracinement et l’intégration à d’autres cieux. Il aimait à dire que la mémoire du peuple juif ne doit pas être statique, elle doit inciter à puiser dans le passé l’élan pour construire un avenir dans lequel sera assurée la pérennité des Valeurs d’antan. HH♦